Par Mame Omar DIOP, Chef Education, UNESCO Kinshasa
L’éducation doit offrir la capacité de lire, écrire, compter et calculer. Ceci représente un fondement vital pour d’autres apprentissages qui permettront l’autonomisation des individus et le développement des pays. L’accès à l’éducation a le pouvoir d’améliorer la qualité de vie d’une personne en lui offrant des possibilités économiques ; en changeant ses perceptions à l’égard des droits de l’Homme ; en lui donnant la capacité d’avoir une opinion politique, de comprendre les textes juridiques et le droit. Bien que l’accès à l’éducation soit essentiel, l’objectif principal de la scolarisation est l’acquisition de connaissances et de compétences. En ce sens, il est important de maintenir l’équilibre entre une augmentation de l’accès en termes de « quantité » tout en maintenant le cap de la « qualité » de l’éducation.
Avec la vision « ne laisser personne de côté », l’Agenda 2030 des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies a joué un rôle essentiel en attirant l’attention sur les inégalités qui limitent l’accès à une éducation de qualité dans le monde entier. Alors que les ODD 4 et 10 parlent spécifiquement d’une « éducation de qualité » et d’une « réduction des inégalités », les 15 autres ODD soulignent directement ou indirectement la nécessité émergente de construire un environnement inclusif qui offre un accès équitable à une éducation de qualité pour tous.
Dans la plupart des cas, différentes formes d’inégalités se croisent et aggravent la situation de certaines personnes. Par exemple, en raison des préjugés qui prévalent, une femme pauvre d’une communauté autochtone vivant dans une zone rurale est susceptible d’être plus désavantagée que toute autre personne dans la même localité. Cela met en évidence l’injustice sociale envers les individus au sein d’une communauté en fonction de leur sexe, emplacement et habitats culturels. Il est extrêmement important de se rendre compte que l’inclusion ne se limite pas à l’accès aux écoles en construisant des infrastructures, en assurant les installations scolaires et en augmentant les inscriptions. En d’autres termes mettre l’apprenant à l’école ne suffit pas ! La langue d’apprentissage, la situation géographique, la nutrition, la santé mentale et le bien être émotionnel, sont quelques-uns des nombreux autres facteurs qui doivent être pris en compte dans le plaidoyer pour l’inclusion dans l’éducation.
LE CAS PRATIQUE DE LA RDC
Figure 1 : Taux brut de scolarisation en RDC (Source ISU http://uis.unesco.org/fr/country/cd)
Bien qu’il existe des cadres politiques mis en place par le Gouvernement RD Congolais pour réduire et remettre en question les inégalités, ils ne sont pas appliqués correctement ou bien il existe de multiples formes d’inégalités qui rendent ces politiques redondantes et inefficaces.
Dans le secteur de l’éducation, l’article 13 de la Constitution de 2005 de la République démocratique du Congo stipule qu’« aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation (...), faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ».
Bien que cela ait eu un impact positif au fil des années sur les taux de scolarisation dans le pays, (même s’il y a eu des problèmes de données, les tendances montrent clairement l’évolution positive dans l’enseignement primaire), il y a lieu de s’interroger sur le grand nombre de disparités perceptible entre les différentes zones géographiques et les groupes sociaux (diverses populations).
Les données renseignent peu ou presque pas sur les populations autochtones par exemple, mais la perception reste négative et tend à appuyer que la majorité reste analphabète, tandis que la catégorie des populations en milieux généraux urbains et semi urbains semble avoir un meilleur accès à une éducation. Par conséquent, ces différences tendent à restreindre l’accès à d’autres systèmes de protection sociale à long terme et instaure un cercle vicieux. Cela implique la nécessité de modifier les politiques d’une manière qui crée des chances égales pour chaque individu dans le pays, indépendamment des statuts économiques et des identités sociales.
La scolarisation, les résultats d’apprentissage, et les niveaux d’enseignement
L’inclusion doit également être reflétée en matière de résultats d’apprentissage de qualité. Le Rapport 2018 sur le développement mondial a entièrement mis l’accent sur la nécessité urgente de promouvoir l’apprentissage afin d’utiliser pleinement le potentiel de l’éducation (Banque Mondiale 2018). Le rapport partage une baisse des capacités d’apprentissage des élèves, principalement dans les pays en développement, et a mis l’accent sur la nécessité de prioriser l’apprentissage et pas seulement la scolarisation.
Figure 2 : Population totale de la RDC
par groupe d’âge (Source ISU http://uis.unesco.org/fr/country/cd)
Figure 3 : Ages scolaires par niveau d’enseignement
(Source ISU http://uis.unesco.org/fr/country/cd)
Le défi de l’égalité d’accès à une éducation de qualité est énorme pour les pays de l’Afrique Subsaharienne. En fait, selon les chiffres de l’ISU ci-dessus (Figure 2), la RDC a une forte population âgée de 14 ans et moins représentant 46% de la population totale. Cela souligne la responsabilité accrue de l’Etat d’assurer un accès équitable à une éducation de qualité à tous les groupes d’âge mais surtout la pression sur la politique de gratuité scolaire amorcée depuis la Loi-Cadre de l’Enseignement National (11 février 2014) et accélérée par le Président Felix Tshisekedi en Janvier 2019 sur la population âgée de 6 à 11 ans (Figure 3).
Bien que cela montre que la RDC a un énorme défi à relever en ce moment, une façon optimiste de l’examiner est que si un système éducatif « efficace » est mis en place au plus tôt, le pays peut tirer profit de son dividende démographique élevé à long terme.
Il existe de multiples voies pour construire un système éducatif « efficace » :
- Il y a des preuves substantielles aux niveaux international et national pour montrer que l’un des moyens les plus efficaces d’atteindre une éducation de qualité pour tous est l’investissement dans l’éducation pré primaire (OCDE 2019). Les enfants qui ont accès à une éducation pré scolaire de bonne qualité sont plus « prêts » pour l’école que ceux qui ne le font pas (Kaul et al., 2017). Au-delà du potentiel du pré scolaire d’améliorer les compétences linguistiques, cognitives et socio-émotionnelles de l’enfant, il est également extrêmement bénéfique pour la mère, la famille et l’économie nationale à long terme (OCDE 2017).
Malgré ces preuves croissantes que le pré scolaire contribue à de meilleurs indicateurs éducatifs, sociaux, sanitaires et économiques, l’universalisation de l’enseignement pré-primaire n’a pas reçu la priorité dont elle avait besoin en RDC jusqu’à récemment. Les lacunes en matière d’apprentissage commencent avant même que les enfants n’entrent à l’école primaire. L’apprentissage de base reste la cause profonde de la crise de l’apprentissage dans le pays. Sa faille est accentuée par le fait que cet apprentissage se fait dans une langue que l’enfant ne comprend pas. Ce qui nous amène à une deuxième proposition pour un système éducatif efficace mais également inclusif.
- Enseigner à l’enfant dans sa langue maternelle
Le fondement de l’apprentissage, nous le redisons, se construit dès le bas âge et ce, dans sa langue maternelle. Si on réussit à enseigner dans cette langue maternelle dès le préscolaire puis la primaire, cela ne fera que consolider les acquis des apprentissages scolaires. Enseigner à un enfant qui ne connait que sa langue maternelle, qui construit son imaginaire dans cette langue et à qui on impose l’apprentissage dans une langue qu’il ne comprend pas, l’exclut systématiquement du droit à une éducation efficace.
Cela va dans le sens de la déclaration des nations unies qui soutient les langues autochtones insistant sur l’impérieuse nécessité de revitaliser et promouvoir les langues autochtones, y compris comme vecteurs de l‘éducation » (Déclaration de Los Pinos : Lancer une décennie d’action pour les langues autochtones, 2020).
L’EDUCATION INCLUSIVE DEFIEE PAR LA COVID19 AU NIVEAU MONDIAL
Afin de s’assurer d’une approche holistique de l’inclusion dans l’éducation, l’UNESCO définit l’éducation inclusive comme un processus visant à répondre à la diversité des besoins de tous les apprenants en augmentant la participation à l'apprentissage, aux cultures et aux communautés, et en réduisant l'exclusion au sein et en dehors de l'éducation. Elle implique des changements et des modifications dans le contenu, les approches, les structures et les stratégies, avec une vision commune qui couvre tous les enfants de la tranche d'âge appropriée et la conviction qu'il est de la responsabilité du système régulier d'éduquer tous les enfants" (UNESCO 2005).
En 2020-21, une période où presque tous les pays du monde traversent une situation de crise dû à la Covid19, il est de notre devoir de réfléchir aussi sur les difficultés de ces personnes qui ne peuvent pas passer à des méthodes d’apprentissage en ligne en raison de leur incapacité à accéder à Internet, à des appareils tels que les smartphone, ordinateurs, etc., ou même à l’électricité tout simplement.
Alors que nous n’avons cessé de défendre l’éducation pour tous avant ces temps de test pour l’humanité, nous devons bien plus encore veiller à ce que les individus de toutes classes sociales, origines, religions, etc. fassent partie de l’écosystème éducatif et que l’éducation puisse leur donner les moyens pour lutter contre des situations de crises similaires dans l’avenir.
L’UNESCO a apporté un soutien immédiat aux pays en mettant à jour les guides d’apprentissage à distance et en créant la coalition mondiale pour l’éducation. Plus de 1,5 milliard d’élèves et de jeunes dans le monde ont été touchés par la fermeture des écoles et des universités en raison de la pandémie de Covid-19.
En tant que droit, l’éducation (donc l’apprentissage !) doit se poursuivre et les efforts devraient aller davantage à ceux qui sont les plus défavorisés.
Dans les pays les moins avancés, seuls 12 % des ménages disposent d’un accès à l’Internet à domicile. Les solutions de faible technicité (comme la télé, la radio) elles-mêmes ne permettent pas d’assurer la continuité de l’apprentissage. Parmi les 20 % de ménages les plus pauvres, ils sont 7 % en Éthiopie et 8 % en République démocratique du Congo à posséder un poste radio. (Rapport Mondial sur l’Education, UNESCO 2020)
LES PISTES
Pour terminer et conclure, j’aimerais vous laisser avec les 3 questions ci-dessous qui mèneront certainement à des pistes pour une éducation effectivement inclusive à tout moment :
· Comment assurer la continuité de l’apprentissage pour tous, même en temps de crise/d’urgence ?
· Comment former/préparer les enseignants à la modalité de l’éducation à distance, quid de leur accompagnement tout au long ?
· Comment organiser l’enseignement à distance, l’enseignement à domicile et les parcours personnalisés ?
Il faut à tout prix que le monde se mobilise pour continuer à assurer les apprentissages même en temps de crise ou d'urgence. En ce sens, les nouvelles technologies d'information et de la communication, les NTIC, deviennent une panacée pour le monde entier. Elles viennent changer le paradigme de l'école des murs à l'école sans mur. Durant la période forte de Covid-19, le monde entier est passé dans ce rythme, enseignement à distance ou une autre forme d'enseignement tel les classes télévisées, les cahiers d'exercices à domicile, etc. Quand bien même, l'expérience est loin d'être parfaite, elle a permis de continuer à assurer la continuité des apprentissages. Il faudrait faire en sorte que tous les apprenants en soit bénéficiaires …